Les premières représentations de la civilisation athénienne s’affichaient dans la cité et proposaient des portraits imaginaires, idéalisés ou symboliques des citoyens de premier plan. Désormais placardés sur les chantiers de la ville en perpétuelle transformation, les visages de nos contemporains peuplent les vues projectives dessinées par les architectes et les urbanistes pour humaniser leurs projets à l’état de maquettes virtuelles. Ces personnages numériques, classés selon une suite de caractères physiques, de postures ou de lieux, proviennent généralement de banques d’images occidentales qui les vendent environ cinq dollars pièce.
Dans la série Texture humaine (5 $), Alban Lécuyer a choisi de singulariser ces figures promises à l’anonymat en les recadrant et en les transposant sur un fond neutre. Ainsi isolées, elles semblent poser en studio ou dans le décor d’un appartement, a contrario de leur vocation à s’abolir au profit d’un environnement utopique. Leur accumulation dessine une humanité à la fois composite, destinée à s’inscrire dans une multitude de contextes et de cultures, et étrangement uniforme, prenant en fin de compte l’apparence d’une communauté cohérente. Majoritairement jeunes, féminins et suggérant le confort d’une société gentrifiée, ces archétypes ont d’abord pour fonction de rendre la ville désirable à défaut de refléter la complexité de la condition urbaine.
Ce ne sont donc plus les icônes byzantines, une Marylin Monroe désincarnée ou les héros d’une propagande socialiste qui témoignent de l’identité d’une époque, mais des inconnus qui ont cédé leur image pour un usage illimité dans le temps et dans l’espace. Il est question ici, en inscrivant leur corps dans les conventions du portrait photographique, de leur accorder la possibilité d’une pertinence mémorielle.
2022